Si les arbres ne montent jamais au ciel, les prix de l’immobilier ne peuvent augmenter indéfiniment. En effet, depuis plusieurs années, les prix de l’immobilier en Tunisie n’ont pas cessé de grimper, rendant la propriété d’un logement un rêve de plus en plus difficile à réaliser. Aujourd’hui, le risque de baisse des prix n’est pas exclu dans la mesure où le marché tunisien doit tôt ou tard s’ajuster vers un prix d’équilibre. Les prix immobiliers sont-ils alors surévalués aujourd’hui? Sommes-nous réellement à l’abri d’une bulle immobilière ? De telles questions requièrent une analyse approfondie des déterminants du marché immobilier tunisien. Par ailleurs, il est important de souligner que, partout dans le monde, les marchés immobiliers sont considérés comme très complexes car ne fonctionnant pas comme les autres marchés.
Les interrogations sur l’existence d’une bulle immobilière dans le secteur immobilier en Tunisie ont surgi en raison de fortes hausses des prix dans les années récentes (croissance annuelle à deux chiffres). En revanche, définir une bulle immobilière n’est pas chose aisée. De manière générale, une " bulle " a une nature spéculative, qui est révélée par un écart, une déconnexion, entre le niveau du prix observé et le niveau auquel conduiraient les déterminants fondamentaux (le prix d’équilibre à moyen terme). A ce propos, J. Stiglitz, prix Nobel d'économie en 2001, définissait une bulle spéculative comme un état du marché dans lequel "la seule raison pour laquelle le prix est élevé est que les investisseurs pensent que le prix de vente sera encore plus élevé demain, alors que les facteurs fondamentaux ne semblent pas justifier un tel prix".
Une bulle commence souvent avec les bonnes années de croissance forte. Les gens sont optimistes, gagnent de l’argent. Une partie de leur revenu peut aller dans l’achat de logements ou d’actions. Ainsi, le prix de l’immobilier augmente et les épargnants se frottent les mains, car ils se croient plus riches. Beaucoup de gens apprennent la nouvelle et veulent eux aussi devenir riches. Ils achètent des logements, au besoin en empruntant auprès des banques qui, rassurées de voir tous les prix monter, prêtent largement. Mais voilà, si les prix ont trop monté, ils devront redescendre. On parle de bulle spéculative qui enfle avant d’exploser. En effet, lorsqu’une bulle naît, les investisseurs ne se rendent pas compte que les prix auxquels ils achètent ne sont pas soutenables (à moyen terme), dans la mesure où ceux-ci sont supérieurs au prix d’équilibre. La bulle éclate lorsqu’un nombre suffisant d’investisseurs se rend compte d’un tel écart et décident de se reporter sur d’autres types d’actifs. Cette plus grande lucidité peut venir d’une meilleure appréhension des déterminants fondamentaux, ou tout simplement d’une baisse du rendement du prix de l’actif. La traduction économique d’une bulle ou d’un surinvestissement est toujours à terme une baisse substantielle du rendement de l’actif ou de l’investissement.
Y a-t-il un risque de bulle sur le marché tunisien ?
Rappelons au passage que les premiers signes de la formation d’une bulle immobilière peuvent apparaître dans la différence entre l’évolution des prix de vente et des loyers. Habituellement, si le prix de l'habitat monte pour des raisons physiques, par exemple la rareté de l'offre, alors les loyers et le prix de l'immobilier augmenteront ensemble. En revanche, si le prix du logement augmente beaucoup plus vite que les loyers, comme cela est le cas semble-t-il en Tunisie, c'est le signe d'une dimension spéculative. Malheureusement, nous ne disposons pas de statistiques officielles en la matière, mais on peut avancer que les prix de l’immobilier en Tunisie ont fortement augmenté ces dernières années, alors que celui des loyers évolue presque au même rythme que l’inflation globale. De plus, la richesse et le revenu des ménages n’ont pas augmenté aussi rapidement et cela devrait avoir une incidence négative. En définitive, la rentabilité à la location des logements a nettement baissé compte tenu du fait que les coûts ont beaucoup augmenté, alors que les loyers n’ont pas beaucoup augmenté vu qu’ils sont indexés selon les revenus. Les gens louent en fonction de leurs revenus et de leurs salaires. Partant de ce constat, le rendement du logement (mesuré par le ratio loyers/prix de l’actif) a diminué du fait de la hausse des prix immobiliers et s’il est estimé entre 4 et 5%, il y a quelques années, il ne devrait pas dépasser les 2% aujourd’hui.
Il faut toutefois garder à l’esprit que par rapport aux pays occidentaux, l’acquisition d’un bien dans une société arabo-musulmane est avant tout une obligation sociale et aussi synonyme d’une certaine réussite sociale. Il va sans dire donc que la demande sur le marché immobilier tunisien n’est pas tirée que par le rendement sur le marché, mais aussi par cette dite " obligation sociale ". Toutefois, si on croit au fait que le taux des ménages propriétaires de leurs logements en Tunisie avoisine les 80%, il est absurde que de croire que la demande ne faiblit pas. C’est un contresens. Il est permis de penser que si le nombre de logements invendus s’élève, aujourd’hui, à 35.000, il va continuer de progresser. Qu'on le veuille ou non, l’augmentation des prix de l’immobilier reflète en partie un déséquilibre structurel entre une demande qui ralentit et une offre qui peine à s’ajuster. Et contrairement à ceux qui réduisent le problème des logements invendus à une simple crise de commercialisation, force est de constater qu’il existe bel et bien une dimension spéculative à la recherche d’une plus-value sur le marché immobilier tunisien.
En effet, sur la période récente, le prix du mètre carré a beaucoup augmenté, beaucoup plus vite que le pouvoir d’achat. Ainsi, le prix moyen du mètre carré fini d’un appartement de haut standing est en moyenne entre 1.100 et 1.400 dinars à Tunis et dans la majorité des villes côtières du pays. La hausse peut être estimée à un peu plus de 30% sur les cinq dernières années. Parallèlement, le logement social n’a pas été épargné par cette hausse des prix, surtout dans les régions côtières. En effet, dans ce type de logement, réservé aux salariés dont le revenu est inférieur à 500 dinars par mois, le prix du mètre carré fini a presque triplé en un peu moins de dix ans, passant de 300 dinars à environ 900.
Cependant, les solutions pour limiter les bulles immobilières sont connues. D'abord, l'investissement doit valoir le coup pour les emprunteurs. Ensuite, les prêteurs doivent attacher plus d'importance à la capacité de remboursement plutôt qu'au potentiel d'augmentation de la valeur du bien. Il faut mieux faire respecter cette discipline. Les pouvoirs publics doivent contenir cela avec détermination. De plus, il convient de souligner qu’il faut taxer fortement la plus-value afin de limiter les gains et ralentir in fine la spéculation sur le marché immobilier.
Au final, même si personne ne peut conclure à la présence d’une bulle sur le marché de l’immobilier à l’heure actuelle, je suis d’avis qu’il y a un réel danger qui nous guette. Certains indicateurs laissent à penser que l’immobilier est devenu trop cher et la bulle immobilière, si rien n’est fait, éclatera tôt ou tard en Tunisie. Cela appelle à la prudence, étant donné qu’une nouvelle hausse de la rentabilité des logements serait difficilement extrapolable.
Source: journal la Presse (Par Sonia El Kathi) le 30 mars 2011